L’essor des assistances vocales dans le e-commerce : opportunité ou effet de mode ?

Pourquoi les assistants vocaux séduisent le e-commerce

“Ok Google, ajoute un casque audio à mon panier.” Une phrase devenue banale pour des millions de consommateurs. Qu’ils s’appellent Alexa, Siri, Google Assistant ou encore Bixby, les assistants vocaux s’immiscent dans notre quotidien — et plus particulièrement dans nos habitudes de consommation. Selon une étude de Statista, d’ici à 2024, plus de 8,4 milliards d’assistants vocaux seront activement utilisés dans le monde. Soit davantage que la population terrestre.

Cette révolution vocale dans le e-commerce (ou v-commerce) pourrait transformer radicalement la façon dont nous interagissons avec les marques. Mais s’agit-il d’une véritable opportunité commerciale ou d’un simple effet de mode alimenté par une innovation technologique encore immature ?

Des usages en pleine expansion… mais encore limités

Le premier réflexe d’un utilisateur d’assistant vocal reste de demander la météo ou de lancer sa playlist préférée. Pourtant, la voix entre progressivement dans la sphère transactionnelle. Réserver un billet, commander à manger, acheter des produits du quotidien : autant d’usages désormais accessibles sans contact, via une simple commande vocale.

D’après une étude de Capgemini (2022), 51 % des consommateurs utilisent déjà la voix pour trouver des produits, tandis que 28 % ont effectué au moins un achat via un assistant vocal. La voix devient donc une extension des canaux digitaux traditionnels, avec la promesse d’une expérience plus fluide et plus naturelle.

Seulement voilà : l’acte d’achat par la voix reste trivial pour les produits simples, mais bien plus compliqué pour ceux nécessitant une évaluation visuelle ou cognitive (vêtements, électronique, mobilier, etc.). C’est là que réside une barrière technologique et comportementale toujours significative.

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Les avantages pour les entreprises (et les clients)

Du côté des entreprises, les bénéfices potentiels sont nombreux :

  • Accessibilité 24/7 : les assistants vocaux prennent en charge des demandes à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
  • Fidélisation accrue : une expérience personnalisée et sans friction renforce le lien client-marque.
  • Réduction du coût de service : moins de sollicitations pour les centres d’appels grâce à la vocalisation des requêtes simples.
  • Collecte de données : les entreprises peuvent affiner leur connaissance client via l’analyse des requêtes vocales.

Les consommateurs, eux, apprécient la rapidité, le côté “mains libres” et intuitif de la voix. Elle est perçue comme un facilitateur dans la prise de décision, notamment pour des tâches répétitives.

Des défis techniques et éthiques majeurs

Mais chaque médaille a son revers. L’interaction vocale pose une série de défis non négligeables :

  • Problèmes de compréhension : les assistants peinent encore à cerner des accents, des intentions ambiguës ou des langages naturels complexes.
  • Sécurité et confidentialité : les assistants sont accusés d’écouter leurs utilisateurs en permanence. Ces préoccupations sont renforcées par la directive européenne RGPD, qui oblige à la transparence sur la manière dont les données sont collectées (voir Art. 5 et 6 du Règlement (UE) 2016/679).
  • Manque de normalisation : chaque écosystème (Google, Amazon, Apple) développe ses propres standards, limitant l’universalité de l’expérience vocale.

A cela s’ajoute le manque de confiance des utilisateurs : selon une enquête menée par Adobe (2023), près de 58 % des répondants n’utilisent pas d’assistant vocal pour acheter à cause des incertitudes sur la transaction ou sur la bonne réception du produit.

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Les géants du web en embuscade

Aucun hasard si Amazon fut l’un des pionniers du commerce vocal. Avec Alexa comme point d’entrée dans son propre écosystème marchand, Amazon contrôle toute la chaîne : de la recherche de produit à la livraison. Google a suivi rapidement avec Assistant, intégré dans des millions de smartphones Android.

Mais la véritable carte à jouer se situe plus loin : convertir les assistants vocaux en véritables moteurs de recommandation et d’intelligence prédictive. Imaginez un assistant capable non seulement d’entendre, mais d’anticiper vos envies d’achat. Une vision promue par l’essor du machine learning et de l’IA conversationnelle (merci ChatGPT !).

Toutefois, cette monopolisation par les GAFAM inquiète les régulateurs. En Europe, la Directive sur les services numériques (DSA) et la Directive sur les marchés numériques (DMA), entrées en vigueur respectivement en 2022 et 2023, visent à limiter le pouvoir de marché excessif de ces géants dans la distribution numérique (source : Ministère de l’Économie).

Les startups innovent dans la niche vocale

Si les géants mènent le bal, de nombreuses startups européennes et françaises se positionnent sur l’élaboration de vocal UX avancées, adaptées au e-commerce. Certaines, comme Vocla (FR), Agara (UK) ou Vochi.ai (DE), développent des solutions de traitement vocal intégrées à des plateformes de e-commerce tierces.

Leur promesse ? Rendre la voix conversationnelle capable d’interactions riches : navigation produit (“Montre-moi des baskets rouges Nike en 42”), gestions des retours, support client automatisé. Une manière de redonner le pouvoir vocal aux plateformes marchandes indépendantes, en dehors des écosystèmes fermés de Google et Amazon.

Enjeux juridiques : la voix comme donnée personnelle

Dans un monde où “tout ce qui est dit peut être utilisé contre nous (ou pour le marketing)”, la voix devient une ressource précieuse… mais sensible. La CNIL considère la voix comme une donnée biométrique et donc protégée par le RGPD si elle permet d’identifier une personne physique (Article 4 du RGPD).

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Les sites de e-commerce intégrant un assistant vocal doivent ainsi s’assurer :

  • d’avoir une base légale pour le traitement vocal (souvent le consentement explicite des utilisateurs),
  • d’implémenter une politique de conservation minimale des données,
  • de permettre à l’utilisateur d’exercer ses droits (opposition, effacement, etc.).

Ce respect de la conformité est loin d’être un détail. Il est même nécessaire à l’acceptabilité sociale d’une technologie qui, par nature, entre dans l’intimité de l’utilisateur.

Une technologie à surveiller (de près)

Effet de mode ? Peut-être. Mais aussi roulette technologique avec des implications énormes. L’assistance vocale a ouvert un nouveau canal, encore partiellement exploré, dans le tunnel de conversion du e-commerce. Dans une logique omnicanal, où la fluidité de l’expérience client devient cruciale, la voix pourrait bien trouver sa place aux côtés du clic — voire le supplanter dans certains usages.

Mais son succès dépendra d’un double enjeu : gagner la confiance des utilisateurs et offrir une véritable valeur ajoutée, au-delà de l’effet “gadget”. Tant que ces deux conditions ne seront pas réunies, les assistants vocaux resteront à la croisée des chemins entre ambition commerciale et scepticisme technologique.

D’ici là, inutile de parler à votre grille-pain. Mais préparez-vous peut-être à discuter plus sérieusement avec votre panier d’achat.

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